Social-Eco -le 28 Octobre 2011
sécurité sociale
Accusés,
sans preuve,
de «fraude»,
des centaines
de retraités partis avec le dispositif «carrière longue» sont sommés par la Sécu, plusieurs années après, de restituer les pensions qu’ils ont touchées.
Un an que celui-ci «ne dort plus que quatre heures par nuit» et vit «comme un zombie». Tel autre, «la peur au ventre», s’est résolu à «vendre sa maison», confie une syndicaliste qui le défend, avant d’évoquer un troisième cas, celui d’un homme «au bord du suicide», contraint de retourner, à plus de soixante ans, «vivre chez sa mère» … Comme eux, elles et ils sont des dizaines, peut-être des centaines, de retraités à vivre un véritable cauchemar depuis que la Sécurité sociale leur a annoncé qu’elle leur réclamait… la restitution des pensions perçues depuis leur départ en retraite, il y a deux, trois, voire quatre ans. Motif : pour la Sécu, ils n’y avaient, en réalité, pas droit !
Enquête serrée pour des «carrières longues»
Cette affaire, révélée hier par la CGT, remonte à 2003. Voyant sa réforme des retraites massivement contestée, le gouvernement concède à la CFDT –qui en tirera argument pour finalement approuver le projet Fillon– la mise en place d’un dispositif de départ anticipé pour les carrières longues : un salarié ayant commencé à travailler tôt peut prétendre partir avant soixante ans, à condition d’avoir cotisé quelques trimestres de plus que la durée normalement exigée. D’emblée, les candidats affluent. D’autant que la loi leur permet, afin de remplir les conditions, de faire valider très aisément des périodes travaillées dans leur prime jeunesse (emplois saisonniers, etc.), pour lesquelles ils n’ont pas de justificatif, bulletin de paie ou autre. Une attestation sur l’honneur signée par deux témoins suffit. Jusqu’en 2008 où le gouvernement, trouvant la mesure trop coûteuse, change les règles du jeu en se montrant beaucoup plus exigeant pour la validation de ces périodes. La Sécu multiplie alors les contrôles, des centaines de dossiers déjà liquidés sont rouverts, de nombreux retraités «carrière longue» sont soumis à une enquête serrée. Et au final, à ce jour, 600 se voient notifier, au motif de «données non fiables», sans plus de précision, l’annulation pure et simple de leur droit à pension, alors qu’ils sont en retraite depuis plusieurs années. Ils sont sommés de restituer les sommes «indues», soit jusqu’à 70 000 euros, et subissent, parfois même, la suspension de leur retraite. Avec, à la clé, les conséquences dramatiques qu’on imagine.
La CGT dénonce le piétinement du droit
Si la CGT ne veut pas défendre les éventuels réels fraudeurs, dit Éric Aubin, en charge des retraites, il n’est pas question non plus de laisser stigmatiser le plus grand nombre de ces retraités qui, «au pire, pour certains», ont été conduits par la Sécurité sociale elle-même à «optimiser le dispositif», comme l’a admis son directeur lors d’une récente rencontre avec le syndicat. Surtout, la CGT dénonce le piétinement de principes essentiels de droit, avec l’application rétroactive des consignes de 2008 aux dossiers liquidés auparavant, et le lancement de l’accusation de fraude sans en apporter de preuve ni démontrer une intention frauduleuse. Alors que les tribunaux des affaires de Sécurité sociale (Tass) commencent à rendre, sur ces bases, des jugements favorables aux victimes qui les ont saisis, le syndicat a interpellé le ministre du Travail et demandé «la fin d’un acharnement injustifié»
Premier recul de la Sécu.
Recevant une délégation de la CGT, le 12 octobre, le directeur de la Sécurité sociale a reconnu «la légitimité de notre démarche», indique Éric Aubin, mais il a refusé de s’engager
à ne pas faire appel des décisions des tribunaux favorables aux retraités à carrière longue ayant déposé des recours. Il a toutefois promis qu’il n’y aurait pas, désormais, d’application rétroactive
de la circulaire de 2008, ce qui devrait conduire au classement
de nombreux dossiers. À suivre.